Parce que moi, je sais me détendre.

« L'amour rend ivre. Oui, l'attachement est le synonyme d'ivresse, et je me noie dans cette dépendance. J'en demande, j'en quémande, jusqu'à ce que la béatitude ne puisse plus accroître davantage. C'est alors l'euphorie intense. Ça commence par des sourires niais, des milliers de visions de bonheur, mais ça finit par une réflexion, une jalousie trop intense. Et si je suis le présent et souhaite être le futur, le passé de mon tendre amant a déjà été souillé par maintes et maintes femelles. On en devient possessive, on s'imagine les pires scénarios, on se demande si tous les mots d'amour n'ont pas déjà été prononcé, simples répétitions, je ne suis que la copiée collée de ses amours d'antan. »

De sa misérable existence, Ceylan ne connut que trop peu les bienfaits des sentiments, au fil des expériences, elles ne les percevaient plus que comme un handicap, un boulet. Et si cette jeune femme avait mémorisé quelque chose de son enfance, c'était que le Bien engendre le Mal. Ainsi, l'univers n'était qu'une grande arène dans laquelle ces deux opposés se combattaient. Vulgaires émotions, ces derniers rendent faibles, ils sont l'empathie, l'amour, les regrets. Non, plus jamais de cela dans son quotidien. Dans un monde où tout n'est que manipulation, on en perd bien souvent la notion de sincérité, et si ici les personnes semblent joyeuses et en parfaite cohabitation avec leur sensation, Ceylan n'était que mystificatrice.
Elle le savait, que sa sociopathie était son point fort, celle qu'elle avait durant longtemps considéré comme méphistophélique. Mais tout n'était que naturel. La loi du plus fort ne laisse pas de place à la sensibilité. Pour la réussite, le calme, la placidité, cette demoiselle était prête à tous vous terrasser.

Alors qu'elle errait dans des alentours encore inconnus, une mélodie vint percuter son ouïe si sensible, une ariette. Curieusement, peut-être bien à tort, elle s'approcha, rencontrant diverses personnes donc les visages lui évoquaient vaguement quelque chose.
Le centre de l'attention ? Un musicien, petit bout d'artiste qui aligne des mots, les faisant valser sur un air mélancolique. Si certains semblaient bien plus qu'en admiration face à ce talent certain, Ceylan ne se laissait pas impressionner. Non, elle n'entrerait guère en compétition, mais tandis que nombreux étaient ceux qui applaudissaient, la jouvencelle resta là, à dévisager le chanteur, ne bougeant aucun de ses membres. À quoi bon frapper ses paumes les unes contre les autres ? Mis à part pour produire un bruit agaçant marquant un ravissement.

Si elle avait eu une capacité inouïe pour la musique, qu'elle avait acquis le savoir nécessaire pour manier un instrument de musique, d'un geste rapide et gracieux, l'adolescente aurait attrapé l'objet qui réveillerait sa mélodie, l'accompagnant de sa voix féminine. Mais rien ni faisait, elle maniait les mots et les maux, mais tout en paroles manipulatrices, guère en dans un chant lyrique.

Les personnes qui avaient précédemment applaudi semblaient quémander du regard une seconde mélodie, ils fixaient, sans gêne, le musicien un peu déboussolé. Ce dernier en effet, ne semblait guère avoir réellement prêté attention au monde qui l'entourait, c'était comme si la musique l'avait emporté dans un univers presque utopique. Observé de tous ses regards déjà salis par d'obscures raisons, le jeune homme, dont elle ne donnait pas plus de dix-huit ans, passa sa main sur le dos de son crâne, frottement nerveusement ce dernier avant de se nourrir d'une petite douceur sucrée.
Il ne fallut que compter que quelques petites secondes, suivant le rangement de son instrument de musique, pour que les admirateurs d'un jour deviennent les inconnus de toujours.
Ceylan ne bougeait pas, elle analysait le moindre de ses gestes afin d'y desceller sa gêne, ses manies, d'y deviner sa popularité et une partie de son caractère.
Finalement, ce fut ce damoiseau-là, après avoir affiché sur son visage bien havre un sourire mélancolique, qui se décida à bouger vers la fontaine dans laquelle il chuta. N'ayant pas l'air humilié, il s'assied sur le bord du conteneur d'eau, trempé, et rigola de son malheur. Son regard va croiser le bleuter d'une vie, un ciel et un océan emprisonné dans des pupilles : celles de Ceylan.

"Salut, t'as pas chaud toi ?"

Elle ne fut pas étonnée de la manière si légère dont il avait fait preuve pour lui adresser cette première parole, l'adolescente n'était que trop habituée au manque cruel de retenue qui n'existant pas au moyen Âge, mais il fallait évoluer avec son temps, et les périodes belliqueuses qu'elle aimait tant de ce passé lointain, n'étaient que partie remise. Pourtant, le progrès lui-même c'était marqué dans les ruines du monde trop souvent oublié, tels les nombreux moyens de torturent qu'ils eurent inventé. Ce concept, lui-même, de faire mal pour obtenir des réponses, de tuer à petit feu, brûler une par une les plumes d'un ange était si intéressant ! Psychologique ou Physique, celle qu'on ne voit pas, celle qui cicatrise, les deux demeuraient un sujet captivant aux yeux de notre sociopathe.
Ce trouble mental n'était pourtant pas le synonyme de sadisme, toute cette adoration n'appartient qu'à son propre caractère.
Mais encore une fois, dans la cruauté démontrée plus tôt, on ne voyait qu'une idée ressortir : il faut être le plus fort pour survivre. Mieux valait être le bourreau que la victime.

Ceylan était partie, à son tour, loin dans ses pensées, oubliant presque l'interrogation prononcé précédemment. Elle défit délicatement les boutons le plus élevé de sa robe dont le haut évoquait l’allure d'un chemisier blanc avant détendre de nouveau son bras le long de son corps aux allures si frêles.

- Non, ça va.

Ce jeune homme en face d'elle semblait être un grand rêveur. Toujours à laisser vagabonder son esprit au travers de diverses pensées, tandis que son regard errait dans l'horizon, que les paupières cachaient quelques fois.
Le vent vint effleurer sa peau humidifiée, la refroidissant légèrement, lui faisant ressentir plus aisément ses moindres caresses, comme une femme l'aurait fait dans toute sa délicatesse. Ceylan observait, elle ne faisait presque que cela, fixer, analyser. Ainsi, son quotidien demeurait synonyme d'insipidité pour certains, la jeune femme, protagoniste de son existence, percevait cela comme des analyses. Dans un mutisme loin d'être oppressant ou même gênant, l’adolescent se leva, imposant sa taille supérieure à la demoiselle, la tête dans mes nuages, si je puis dire…
Il se décida enfin à sortir de la fontaine afin de récupérer ses biens, ces derniers n'étaient d'autres que quelques denrées, nourriture de la gourmandise.
Le sujet de ses observations lui offraient une nouvelle fois un peu d'attention, et bien que celui-ci ne montra qu'une facette amicale, Ceylan resta de marbre, insensible face à tout cela. Le visage neutre, une poupée, un être que le temps eut figé.

"Tu veux un truc à grignoter ?" Proposa-t-il, acte insoupçonné.

Liant paroles et gestes, il s'approcha d'elle comme le ferait le maître de l'animal sauvage qu'il veut amadouer. Belle comparaison. Et ce sourire qui lui connaît au visage, niais et pourtant agréable, elle le supportait. Mais, de son fruit le plus certain, elle savait qu’insupportable serait la présence d'une dizaine de personnes comme lui. Un cookie. Voilà l'offrande qu'il lui faisait. Ceylan aurait pu refuser, s'en aller et le laisser seul, mais alors, cela signifierait que, cette petite partie de sa journée passée à le regarder n'aurait servi à rien. Et le temps perdu ne se rattrape jamais. Aussi, elle accepta de supporter un peu plus de sa compagnie, ou peut-être était-ce quelqu'un chose qu'elle lui infligeait ?

Dans tous les cas, elle accepta le gâteau, frôlant le contact physique lors de l'échange, elle ne négligea pas l'échange de regards, pénétrant le sien de ses yeux bleus vides d'expression.

-Merci. Articula-t-elle dans toute la banalité du monde. Et tandis que lui était de bout, la jouvencelle qu'elle était prise place sur le rebord de la fontaine où il était plus tôt afin de déguster sa gourmandise.

Ce sourire... Cette expression joyeuse imprimée sur son visage, une euphorie trop constante, lassante. Comment pouvait-il garder la tête haute alors qu'il semblait si seul ? Était-il lui aussi un grand manipulateur, un être camouflant la vision de ses réelles émotions en utilisant une carcasse en guise de protection ? Dans ce cas, il semblerait que ce jeune individu soit beaucoup plus intéressant qu'il ne le laissait paraître. En effet, au premier regard, bien que possédant un physique agréable aux yeux, Ceylan le trouvait finalement plutôt banal dans sa manière d'être paradoxalement peu commune.
Mais le temps qu'elle passerait avec lui, allait s’accroître progressivement, et avec ce dernier, sa vision des choses pourrait éventuellement changer.
Ainsi ils étaient là, tous deux assis l'un en face de l'autre, dans leur position, sachant que la demoiselle était plus haute et sur un support, on pouvait distinguer une forme de supériorité qui pourtant n'avait pas lieu d'être. Bien qu'elle sût pertinemment connaissance qu'elle n'était pas moins insipide que l'existence des autres, la jouvencelle aimait se sentir supérieure, le fait de dominer l'autre la rassurait. En effet, il n'était pas rare de penser que son caractère vicieux dans sa manipulation cachait en réalité la peur d'être écrasé.
Il attendait, commençant sa gourmandise après avoir longuement regardé notre protagoniste. Pourquoi offrait-il tant d'importance à la dégustation de cette denrée ? Sans plus de réflexion que cela, l’adolescente en déduit qu'il était de lui. Sa première réaction, dans toute sa paranoïa, fut de se méfier. Qu'avait-il mis le dedans ? Tout n'était-il qu'un piège élaboré depuis le début ?
Affrontant les risques et périls, elle goûta l'aliment, écoutant également le jeune homme se présenter.

"Ah... Je m'appelle Ryan Elvryn. Après tu peux m'appeler comme tu veux."

Elle l'avait vaguement regardé droit dans les pupilles, n'accordant pas plus d’intérêt que cela à ses paroles, elle se lança cependant dans une réponse.

- Je m'appelle Ceylan.

De son nom entier Ceylan Justice Bernkastel, elle ne voyait pas pourquoi il était nécessaire de formuler plus de son prénom lors d'une présentation. Elle ne prononça pas non plus le mot de base, à savoir « enchanté(e) », car elle ne savait guère si elle l'était ou non de faire sa connaissance, de plus, l'heure des mensonges n'était pas encore d’actualité, elle n'en avait ni l'envie, ni la motivation.
Il semblait attendre... Elle regarda le cookie qu'elle venait de goûter, cherchant les mots pour lui donner une appréciation.

- Hum... Ils sont bons.

Dit-elle simplement, ne sachant de toute façon pas quoi ajouter.